Tamerlan n'était pas musulman

Home    

   

 

Auteur : Rodney Salnave
Fonction : Dougan (Scribe)
Date : 8 février 2017
(Mise à jour : 25 sept. 2020)


Les révisionnistes islamiques présentent, depuis un certain temps, l'histoire de Tamerlan comme preuve de la présence musulmane dans la révolution haïtienne. Qui était donc ce Tamerlan? Il fut un captif (esclave) lettré qui vivait à Boucassin, non loin de Port-au-Prince (province de l’Ouest), en 1791. Au mois de juin, donc trois mois précédant Bois Caïman (Bwa Kayiman) et l’insurrection générale qui eut lieu dans le Nord, Tamerlan eut une interaction hors du commun avec le colonel Malenfant, un Français qui gérait temporairement l’habitation à laquelle il (Tamerlan) appartenait :
"Ce noir se nommait Tamerlan ; il était âgé d'environ quarante-quatre ans. Il me dit qu'il était prêtre dans son pays ; qu'il faisait des livres; que le grand roi de l'Afrique l'avait choisi pour l'instituteur de son fils ; qu'il voyageait avec ce prince, lorsqu'il fut attaqué par des nègres*, qui les firent captifs, et qui, après plus de trois mois de traversée, les conduisirent au bord de la mer près des blancs." (1)
De cette interraction, le colonel Malenfant su que Tamerlan savait lire :
"Je reçus une lettre d'un jeune homme, nommé Edon (...) Comme je lisais sa lettre, je surpris le noir commissionnaire qui jetait les yeux sur l'écriture ; une petite glace trahit sa curiosité. Après avoir lu ma lettre, je lui dis : « Est-ce que tu sais lire? — Non, monsieur, me répondit-il.— Pourquoi donc regardais-tu ce que je lisais? — Je vous demande pardon, je ne sais pas lire le français. — Mais enfin, tu sais donc lire ? — Oui, monsieur, et écrire la langue de mon pays, et celle d'une espèce de mulâtres à cheveux longs. — Ecris-moi quelque chose. » Il prend une plume, et se met à écrire de droite à gauche ; ses caractères étaient très-bien peints, et il écrivait avec vitesse. — « Qu'as-tu mis dans cet écrit? je ne connais pas cette langue, je crois que c'est de l'arabe ; est-ce ainsi que tu la nommes ? — Non, me répondit-il. »." (2)
Bien entendu, le fait que Tamerlan répondit qu'il ne savait pas lire l'arabe, n'empêcha pas les révisionnistes, ces rapaces, d'insister que celui-ci se trompait et qu'il était musulman.

Le nom Tamerlan dans la colonie de Saint Domingue (Haïti)


Mais avant d’analyser l’islamité ou non de l’écriture de Tamerlan, il nous faut d’abord établir la nature de son prénom que les islamistes associent à l’islam, mais qui pourtant flottait allègrement dans la colonie comme le démontrent les faits archivés.

Bateau nommé « Le Tamerlan »

Cette première annonce date du 6 mai 1770. Elle démontre, que 21 ans avant la rencontre du colonel Malenfant avec le captif Tamerlan au Boucassin, le prénom  « Tamerlan » était fort banal dans la colonie, au point d’être celui de bateaux marchants mouillant dans les ports dominguois :
"Arrivée des Navires Marchands. À Saint-Marc (...) Au Port-au-Prince, le 12, la Pomone, de Bordeaux, Cap. Bouilhac, venant de Saint-Marc : le Tamerlan, du même Port, Cap. Charriol." (3)


Tamerlan, nom donné à un captif Mondongue

Cette suivante annonce de marronnage nous présente un captif mondongue du nom de  « Tamerlan, nation Mondongue, assez joli de figure, taille de 5 pieds. » :

"Trois Nègres étampés LESFAURIES (...) ; L’autre nommé Tamerlan, nation Mondongue, assez joli de figure, taille de 5 pieds; (...) Ceux qui les reconnaîtront, sont priés de les faire arrêter & d'en donner avis à M. Lesfauries, Habitant aux Ecrevisses : il y aura récompense." (4)
Or, les Mondongue, originaires d'"Afrique" Centrale, étaient traditionalistes, donc non musulmans. D'ailleurs, leur culte ancestral Mondongue fait partie intégrante du corpus ancestral haïtien.


Tamerlan, nom donné à un captif Thiamba

Cette annonce-ci du 18 juin 1774 nous présente un captif d’ethnie thiamba s’appelant Tamerlan.

"Le 18, Tamerlan, nation Thiamba, étampé sur le sein gauche R.B.A.&au-dessus G.G. se disant à M. Boidereau du Grand-Goave." (5)
Les Thiamba, appelés également Tem, provenaient du Golfe du Bénin, et plus particulièrement du Togo. Et ils étaient traditionalistes.


Tamerlan, nom donné à plusieurs Congo

Ici, en 1777, un captif d’origine Congo, dont le vrai nom est Tona, a reçu dans les îles, le nom de Tamerlan :

"Un Nègre Congo, nommé Tona, dit Tamerlan, cuisinier & cocher, âgé d'environ 23 ans, étampé sur le sein droit BF entrelacés, est parti maron du Cap le 27 du mois dernier. Ceux qui le reconnaîtront, sont priés d'en donner avis à M. Frère, Négociant au Cap, ou à Mde Fournier, sur son Habitation à Limonade, à qui ce Nègre appartient : il y aura récompense." (6)
De même, en 1779, cet autre Congo fut baptisé Tamerlan :


"Le 5, Tamerlan, Congo, étampé FBV et autres lettres illisibles, et sur le sein droit A, âgé de 20 ans, se disant appartenir à M. Aucan, à la Grande-Rivère, arrêté à la Petite-Anse." (7)
Voilà ici, en 1788, un autre Congo nommé Tamerlan sur l'île :


"Tamerlan de nation Congo, étampé illisiblement sur le côté droit du sein, rougeâtre de peau, blessé au bras gauche, ayant une cicatrice sur le nez, taille d'environ 5 pieds, âgé de 28 ans, disant appartenir à M. Prudhomme, arrêté à l'Acul." (8)
Ces 3 Tamerlan, proviennent donc du Congo, un lieu foncièrement traditionaliste. 

Tamerlan, nom Créole

Cette dernière annonce dénote également un autre captif du nom de Tamerlan dont l’ethnicité ne fut dévoilé, laissant penser qu’il s’agirait d’un Créole, l'ethnie par défaut à Saint Domingue :

"Un Nègre nommé Tamerlan, étampé RAINGEARD AU CAP & au-dessous DUGOIRAN, taille de 5 pieds, est parti maron le 18 de ce mois. Ceux qui le reconnoîtront, sont priés de le faire arrêter & d'en donner avis au Sieur Raingeard, Boulanger au Cap : il y aura récompense." (9)
Et si ce Tamerlan était créole, donc né dans l'île, il était ainsi né et baptisé dans le christianisme. Rendant ainsi extrêmement improbable qu'il fut musulman. 
Donc, vu l’usage répandu et non ethnique du nom Tamerlan dans la colonie, on ne saurait l’associé à l’islamité des captifs. Ainsi, le Tamerlan lettré de Boucassin ne peut être considéré musulman en raison de son nom, comme le font à tort des révisionnistes. D'ailleurs, ce nom Tamerlan n'était pas véritablement le sien. Pas plus qu'il était celui des captifs Mondongue, Thiamba ou Congo. Il leurs ont été imposé dans la colonie comme nom de baptême chrétien. Car, vraissemblablement, les religieux (jésuites) furent à l'origine de l'introduction de ce nom à Saint Domingue :


 "Le Cap a eu aussi pendant quelques années pour curé, le père Margat, jésuite, qui l'avait été auparavant de la paroisse de la Petite-Anse, pendant vingt ans. Ce religieux est l'auteur d'une Histoire de Tamerlan, & de plusieurs lettres curieuses & intéressantes, imprimées parmi les Lettres Édifiantes." (10)


L’écriture de Tamerlan

L'écriture de Tamerlan, était-elle l'arabe, une écriture "africaine" dérivée de l'arabe, ou tout simplement une écriture "africaine" autonome et traditionaliste? La question se pose, puisque Malenfant, ayant eu le nom de cette écriture l'a égaré peu après :
"C'était au mois de juin 1791 qu'il me parla ainsi. Je me rendis en novembre même année au Port-au-Prince. L'incendie du 21 de ce mois, me fit perdre mon porte-manteau, qui fut porté à bord d'un américain, lorsque je travaillais à éteindre les flammes. Je n'ai jamais pu le retrouver.
L'écrit de ce nègre,** le nom de sa grande ville, celui de son roi y étaient renfermés.
"
(11)
Malheureusement, de 1791 à 1814, date de publication de l'ouvrage de Malenfant, 23 ans se sont écoulés. Rendant ainsi, fragile la mémoire de l'auteur sur la nature de cette écriture. Mais nous allons tant bien que mal, dans cette section, chercher l'origine de l'écriture de Tamerlan.  
 

Arabe ?

Comme nous l'avons vu plus haut, la réponse de Tamerlan fut sans équivoque : il n’écrivait pas l’arabe. Et, perspicace, Malenfant chercha plus de précision :
"— Non, me répondit-il. » Je lui fis écrire le nom de sa langue ; je l'ai gardé long-temps ; mais je l'ai oublié ainsi que l'orthographe. La première lettre était, autant que je peux me le rappeler, une espèce de g, et la dernière un o. — « Eh bien, qu'as-tu écrit? — C'est une prière.» Il y avait plus de vingt lignes." (12) 
Faisant fi de la réponse négative de Tamerlan, la révisionniste LeGrace Benson prétend, sans réserve, dans un envol poétique injustifié, qu'il écrivit en arabe et qu'il fut un mollah pratiquant le soufisme :
"Their conversation led to his revelation of literacy in Arabic by producing the prayer from memory. Thus we know the prayer had been with him always. But an ambience for nurturing a Sufic engagement in the presence of Allah amongst the sugar canes and carrion crows had already taken flight from the moment when a Senegalese man ran into "marronage" off the first boatload of captives." (13)
Traduction :
"Leur conversation a conduit à la révélation de son alphabétisation en arabe en produisant la prière de mémoire. Ainsi nous savons que la prière avait toujours été avec lui. Mais une ambiance pour nourrir un engagement soufi dans la présence d'Allah au milieu des cannes à sucre et les corneilles de carrions avait déjà pris son envol depuis le moment où un Sénégalais a couru en "marronnage" au large du premier chargement de bateaux de captifs."
Mais qu'en était-il réellement? En dépit du fait que Malenfant a perdu l’orthographe de Tamerlan, cette même année, nous pouvons tout de même établir, selon les indices qu’il nous a laissées, si cette orthographe était arabe ou non. Car, si Tamerlan écrivait l’arabe, il aurait identifié son alphabet comme étant, soit al-abjadīyah al-ʻarabīyah qui s’écrit ainsi :

Ou soit  al-urūf al-ʻarabīyah s’écrivant de cette manière :

Or, une telle écriture pose problème, puisque Malenfant précise que : « La première lettre était, autant que je peux me le rappeler, une espèce de g, et la dernière un o. ». Partant de la droite, il n’y aucune lettre, dans cette ligne en arabe, qui est susceptible d’être confondue avec la lettre “g”, quoique la dernière lettre (à gauche) ressemble à un “o”, dans les 2 cas. Cette absence de lettre “g” ou d'une lettre s’y approchant, combinée à la réponse par la négation de Tamerlan, nous fait conclure que ce captif n’écrivait pas l’arabe. De plus, vu le nombre de lettres que comprend l'écriture de ce nom en arabe, il est peu probable que Malenfant aurait fait un effort de mémoriser un si long mot écrit dans des caractères indéchiffrables.


Une prière de plus de 20 lignes

Lorsque Malenfant, curieux, a demandé à Tamerlan : « Eh bien, qu'as-tu écrit? » Tamerlan l’a répondu que : « C'est une prière. ». Et Malenfant  a retenu la longueur de cette prière en ces mots : « Il y avait plus de vingt lignes. » La longueur de cette prière est tout à fait conforme aux pratiques spirituelles traditionnelles contenant d’innombrables litanies qui durent près d'une heure en Haïti. Mais, ce n’est pas le cas pour l’islam pour lequel la prière ou salat obligatoire est la sourate d'ouverture du coran appelée Al-Fatiha. Elle est utilisée dans toutes les occasions allant des cérémonies de mariages aux stèles funèbres. Loin de comporter plus de 20 lignes, cette prière musulmane ne comprend que 7 lignes, correspondantes aux 7 versets que voici :

1) بسم الله الرحمن الرحيم
2) الحمد لله رب العالمين
3) الرحمن الرحيم
4) ملك يوم الدين
5) اياك نعبد واياك نستعين
6) اهدنا الصراط المستقيم
7) صراط الذين انعمت عليهم غير المغضوب عليهم ولا الضالين

Donc, on n’a pas besoin de parler, ni d’écrire l’arabe pour voir que cette prière est loin de comporter plus de 7 lignes; 8, tout au plus. Dans ce cas, il est difficile qu’un observateur aussi perspicace que le Colonel Malenfant, ait décrit comme ayant « plus de vingt lignes. », cette assez courte prière musulmane qui se lit en arabe comme suit :

1) Bismillah ar-rahman ar-rahim
2) Al Hamdulillahi rabbi-l-`alamin
3) Ar-rahman ar-rahim
4) Maliki yawm ad-din
5) Iyaka na`budu wa iyaka nasta`in
6) Ihdina as-sirat al-mustaqim
7) Sirat al-ladhina an`amta alayhim ghayri al-maghđubi alayhim wa la ad-dalin

Cela nous fait dire que la prière transcrite par Tamerlan n’était pas islamique. Et que, par conséquent, Tamerlan n’était pas musulman. 

Ajami ?

Vu que Tamerlan avait indiqué ne pas écrire l'arabe, Michael Gomez, un autre révisionniste, osa prétendre que Tamerlan n'avait pas compris la question du colonel Malenfant, et qu'il écrivit soit l'arabe, soit une langue africaine usant de signes arabes :
"Either he did not understand Malenfant's question about the language he wrote, or he was indeed writing an african language using Arabic script, such as Fulfulde (Pulaar, language of the Fulbe, in written form)." (14)
Traduction :
"Ou bien il ne comprenait pas la question de Malenfant sur la langue qu'il écrivait, ou bien il écrivait une langue africaine à l'aide de l'écriture arabe, comme Fulfulde (Pulaar, langue des Fulbe, sous forme écrite)"
La révisionniste Sylviane Diouf aborda dans le même sens, en affirmant que Tamerlan écrivait en "Ajami", une écriture arabe adaptée aux langues "africaines" :
"Tamerlan, who had written a prayer in ajami—his language written with Arabic characterswas "a priest in his country…"" (15)
Traduction :
"Tamerlan, qui a écrit une prière en ajamisa langue écrite en caractères arabesétait "un prêtre dans son pays...""
Cependant, une telle affirmation est fausse. Car, le plus rudimentaire des analyses suffit pour prouver l'incompatibilité entre la description de la langue par l'auteur Malenfant, et le nom de l'écriture ajami. Tout d'abord, "ajami" signifie "étranger" en Arabe. Et en cette langue, il s'écrit : 

En Arabe : 
Ajami (ʿaǧamī) :
  ‫عجمي‬‎‎
Ou 
Ajamiyya (ʿaǧamiyyah) :
 ‫عجمية‬‎‎

Il est évident que nous sommes très loin de la lettre "g", au début de l'écriture ; ni de la lettre "o" à sa fin, tel que décrit par Malenfant. Mais qu'en est-il de l'écriture d "ajami" dans cette langue? Le résultat, ou plutôt le non-résultat, est identique :

Le mot "AJAMI", se décortique, dans cette langue, par les lettres suivantes :

A
J
A
M
I
Source : https://en.wikipedia.org/wiki/Ajami_script

Ce qui donne, de droite à gauche, "I M A J A"

Ajami (I M A J A)
‎‫ـَجـَمـِ‬
Et si l'on ajoute la terminaison "YA"...

Y



A
Nous obtenons "Ajamiya", qui de droite à gauche donne "A Y I M A J A"


Ajamiya (A Y I M A J A)
‎‫ـَجـَمـِیـَ‬
Et ce nom est nettement incompatible avec la description de Malenfant. Mais, afin de dissiper tout doute, nous présentons ici, l'option de "Agami" qui se rapproche d'avantage de la prononciation arabe. La lettre "G" s'écrit comme suit :
Résultant en "Agami" qui s'écrit "I M A G A"

Agami (I M A G A)
‎‫ ‎‫ـَغـَمـِ‬‬ 
Et "Agamiya" produit, de droite à gauche, "A Y I M A G A"

Agamiya (A Y I M A G A)
‎‫ ‎‫ـَغـَمـِیـَ‬
Et toujours pas de ressemblance avec la description faite par Malenfant de l'écriture du captif Tamerlan. Il va sans dire que jamais Malenfant aurait décrit le graphique composant le mot "Ajami"  ou "Agamiya" dans les termes qui l'a fait en 1791. Donc, Tamerlan n'écrivait pas en Ajami. Et Sylviane Diouf avait tort.


N’Ko ?

Autre que l'écriture dite Ajami, il existe également en "Afrique" de l'Ouest, le N'Ko qui s'écrit de droite à gauche. Cependant, cette écriture des peuples de langues malinké (Bambara, Mandingue, Soniké, Dioula, Soussou, etc.), d'après les textes publiés, ne fut inventée qu'en 1949. Et son élaboration revient au linguiste et pédagogue guinéen Souleymane Kanté (1922-1987). (16) Donc, vu les deux siècles séparant son invention et le texte de Tamerlan, le N'Ko ne pouvait être l'écriture de 1791 recherchée.
Toutefois, afin de couvrir tous les angles, nous avons tout de même comparé l'écriture de Tamerlan avec l'alphabet N'Ko*** qui est le suivant :



 L'alphabet NKO

Voyelles
Consonnes

Source : http://en.wikipedia.org/wiki/N%27Ko_alphabet

Cette écriture mandé ou malinké est phonétique et s’écrit de droite à gauche. Ainsi, orthographié, « N’KO », le nom de l’écriture, en partant de la droite, se lira « OK’N » :
Le son ‘N’ s’écrit : 
 

Le son ‘KA’ est figuré ainsi : 

Puis le son ‘OO’ est marqué par :   
Mis ensemble, nous avons les lettres qui se lisent, à partir de la droite, « OK'N » :


Et dans sa forme cursive, nous obtenons ceci :

(N'KO)


Telle fut notre surprise, en observant, au-delà de toute attente, la première lettre ayant la forme de l’“espèce de g” qu’a décrite Malenfant en référence au nom de l'écriture de Tamerlan. Cependant, nous n'obtenons pas “la dernière [lettre ressemblant à] un o”. Notre dernière lettre ressemble plutôt un “c” inversé. Toutefois, elle se prononce “o”. Et lorsque l'on se rappelle que Malenfant avait mentionné : 
" Je lui fis écrire le nom de sa langue ; je l'ai gardé long-temps ; mais je l'ai oublié ainsi que l'orthographe." (17)
Cela nous permet de conclure que Tamerlan, enseignant qu’il était, ne s’était contenté uniquement d’écrire le nom de son écriture. Il avait nommé « N’KO », verbalement à Malenfant qui l'avait longtemps conservé dans sa mémoire. Ainsi, le son “O” dans "N’Ko" a dû être gravé dans la mémoire de l’auteur qui, l'a associé à la troisième lettre :
produisant le son en question. D’ailleurs, si la deuxième lettre :
 avait une certaine ressemblance avec une lettre latine, l’auteur l’aurait mieux fixée dans sa mémoire, comme il a fait avec la première lettre :
qui est effectivement proche d'une espèce "g"

Cet extrait qui suit, nous permet de voir l'écriture du mot "N'Ko" dans la réalité. Ce qui a retenu notre attention, c'est l'extension du trait dans la dernière lettre qui altère quelque peu l'apparence de cette lettre, la poussant vers un "o" de l'alphabet latin. 


   (Publication du mot "N'Ko" par le New York Times)
Source : New York Times du 11 décembre 2011. "Everyone speaks text message". URL : http://www.nytimes.com/2011/12/11/magazine/everyone-speaks-text-message.html

Ainsi, nous pouvons envisager qu'en 1791, Tamerlan, écrivant à l'aide d'un encrier et d'une plume, aurait bien pu étendre la ligne de cette dernière lettre, tout en arrondissant ses courbes, ce qui aurait pu pousser l'occidental Malenfant à confondre cette dernière lettre, se prononçant "o", pour un "o" latin écrit à la hâte.
Publication en N'Ko moderne :
Source : http://hsp.org/history-online/media-library/photos/mamady-doumbouya



© Sekou Magasouba, 2017
Source : https://twitter.com/sekou_magasouba/status/827127598719307781/photo/1
Mais, au-delà de l'étonnante similitude, toujours est-il que le problème de la date récente de l'invention de l'écriture N'Ko demeure. Notre réponse est archi simple. Le fait que Tamerlan a nommé son écriture N'Ko en 1791, prouve que Souleymane Kanté n'a pas inventé en 1949 cette noble écriture du même nom. Certes, Kanté ayant admirablement écrit plus de 70 livres en N'Ko, (18) a permis à la renaissance de cette écriture. Mais cela n'implique pas qu'il en fut l'inventeur. D'ailleurs, le mot N'Ko signifiant « JE DIS » en langue malinké, (19) trahit l'ancienneté insoupçonnée de cette écriture inscrite dans la cosmogonie malinké :
"La mythologie malinké insiste également sur la révélation de la parole aux premiers êtres humains. Dans la mythologie malinké comme dans celle des Dogon, il s’agit de quatre frères qui descendirent avec leurs jumelles du ciel sur la Terre à bord d’une « arche » dirigée par leur géniteur mythique [Massa Dembali chez les Mandé, donc Maître Dembali ; Mèt Danmbala dans la Tradition haïtienne]. Ils deviendront les ancêtres apicaux de l’humanité (Dieterlen 1955).
« Le troisième ancêtre, Simboumba Tagnagati, reçut de Faro [Déesse des Eaux primordiales chez les Malinké, Jany ou la Lwa de l'Eau en Haïti] trente premières paroles et huit graines de céréales dans la mare dans laquelle il pénétra après la chute de la première pluie sur la Terre [La pluie est également associée à Faro en Haïti]. En sortant de l’eau, il dit : “Nko / Je parle.” Il construisit un sanctuaire dans lequel il mit les graines. À la porte de ce sanctuaire, Simboumba Tagnagati révéla à ses frères les trente paroles de Faro ; il parla toute la nuit et cessa de parler lorsqu’il vit se lever ensemble à l’horizon Sirius et le soleil. »" (20)
Ainsi, Souleymane Kanté, ce lettré et fils d'un enseignant, en 1949, ayant été insulté par l'article d'un Libanais prétendant que les langues "africaines" "étaient impossibles à transcrire et, de plus, elles ne possédaient pas de grammaire", (21) n'a pas inventé une écriture à partir de rien. Il a plutôt dépoussiéré cet alphabet N'Ko parmi de vieilles gravures sous la garde de sa famille de lettrés depuis des générations.
D'ailleurs, la première lettre du N'Ko est une ligne verticale "|" produisant le son "a". Cette lettre, identique au 'alif de l'alphabet arabe, résulte certainement d'un emprunt. Cet emprunt unique apparent à l'alphabet arabe dévoile que le N'Ko n'a pas été inventé en opposition à l'écriture arabe, ni en réaction aux propos d'un Arabe (Libanais). Comment Souleymane Kanté, voulant prouver que les langues des Noirs pouvaient être écrites autant que l'arabe, aurait débuté son écriture par l'emprunt d'une lettre arabe? Cela ne fait pas de sens, et aurait été contreproductif. Donc, le récit de Souleymane Kanté inventeur du N'Ko n'est pas consistant avec le contenu même de l'alphabet N'Ko.
Également, plus qu'un simple mot, "N'Ko" est un archétype du Verbe chez les groupes malinké. Et en tant qu'archétype, il n'était pas dans son entièreté à la portée du profane. Puis, les détenteurs de la pleine compréhension d'un archétype ne s'en défassent pas aisément. Et Tamerlan, le Dominguois, fut l'un de ces détenteurs. Une autre preuve qu'il nomma son écriture N'Ko, est que le mot "N'Ko", cet archétype, fut conservé par la Tradition ancestrale haïtienne à laquelle Tamerlan, en tant que Houngan, a nettement contribué. Car, l'archétype N'Ko est maintenue dans les litanies et prières ancestrales haïtiennes où il a subi une mince déformation en "Nkò" :

Nkò na ede yo.

Traduction :
« Je dis » que nous les aiderons.

Le plus souvent, il est présent dans les chants rituels plus ouverts, en "Ankò" :
 
Malere, ankò (Nkò) mwen malere.

Traduction (parfois, il est traduit un ou de refrains plus loin) :

Pauvre, « Je dis » que je suis pauvre.




Tamerlan et l’écriture des « Mulâtres à cheveux longs »

Analysons maintenant l’autre forme d’écriture que Tamerlan disait savoir lire. C’est-à-dire l'écriture : « d'une espèce de mulâtres à cheveux longs. » (22) Quel était donc ce groupe de mulâtres à cheveux longs? Pour les révisionnistes, ces mulâtres étaient soit des Maures, soit des Peuls qui écriveraient l’Arabe ou l'Ajami via la conversion. Ce qui validerait leur version d’un Tamerlan mandingue ayant un lien à l’islam.
Nous pouvons d'un premier trait rejeter que l'écriture en question était celle des Peuls (Foula). Certes, une certaine forme de métissage existe au sein de ce groupe. Mais, cette ethnie était assez en nombre dans la population captive de Saint Domingue pour, s'il s'agissait d'eux, que Tamerlan puisse la nommer à Malenfant qui la aurait aussitôt reconnu. D'ailleurs, il est même possible qu'il y avait des Peuls sur l'habitation que partageaient Tamerlan et Malenfant.
Donc, l'option peule écartée, il demeure les divers peuples arabo-berbères d'"Afrique de l'Ouest qui pourraient en quelques sortes correspondre à la description de "mulâtres à cheveux longs". Nous arrivons à éliminer les Maures du fait qu'ils résident dans les pays de la côte atlantique (Mauritanie, le Sénégal et la Gambie), alors que Tamerlan avait précisé provenir d'une région située à plus de 3 mois de route de la côte :
"Il voyageait avec ce prince, lorsqu'il fut attaqué par des nègres, qui les firent captifs, et qui, après plus de trois mois de traversée, les conduisirent au bord de la mer près des blancs." (23)
Hors les Maures et une partie des Peuls, l'unique groupe répondant à cette description est les Touareg, ces nomades berbères (non arabes), d’avantage métissés que les Berbères sédentaires. Il en existe des « noirs » et des « blancs » ; mais la majorité se situe à cheval entre ces 2 races, et peut donc être qualifiée de mulâtre :



Source : Photographie de gravures rupestress au Niger par E. Bernus – 224 APOM/126 ; in : Fonds Suzanne & Edmond BERNUS 224 APOM/1-160.


 
Source : Femme touarègue à Den Buten en 1964, par Edmond Bernus – 224 APOM/119 ; in : Fonds Suzanne & Edmond BERNUS 224 APOM/1-160



Source : Couple touareg par un photographe d’Agadez, sd – 224 APOM/114 ; in : Fonds Suzanne & Edmond BERNUS 224 APOM/1-160

Plus à l'Est que celui des Maures, le territoire touareg se situe entre les frontières communes de l’Algérie, la Libye, le Niger, le Nigéria, le Burkina Faso et du Mali :




Source : "Aire touarègue". Carte réalisée par Jacques Bernus, d’après Touaregs, Berger-Levault, 1984 ; in : Fonds Suzanne & Edmond BERNUS 224 APOM/1-160


Et il arrive que cette zone touareg est assez éloignée des côtes maritimes pour exiger plus de 3 mois de route.

Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Touareg#/media/File:Tuareg_area.png

Donc, à partir de ces informations, nous pouvons placer la provenance de Tamerlan à, un groupe de langues malinké, résidant à proximité de la zone de contact touareg. Mais nous en reviendrons, après avoir établir la nature de l'écriture touareg, si jamais elle existe.

L'écriture Touareg?

Tamerlan devait écrire le Tifinagh saharien, écriture des Touareg parcourant les déserts d'"Afrique de l'Ouest. Cette écriture est cependant non-islamique. En fait, elle est pré-islamique, car inventée dans les années 300-500 après JC. Soit bien avant les conquêtes islamiques de l'"Afrique du Nord" qui remontent à 647-709 après JC. Cette gravure rupestre du Mali témoigne de son ancienneté :


Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Tifinagh#/media/File:Tinifagh_intedeni.jpg


L'alphabet Tifinagh
Source : A. de Motylinski. Grammaire, dialogues et dictionnaire touaregs. Revus et complétés par le P. de Foucauld. Alger, 1908.


 Source : http://e1.img.v4.skyrock.net/2961/30452961/pics/1401107237.jpg

Ainsi, l'apprentissage de l'écriture touareg par Tamerlan, ne consiste guère une preuve d'islamiter étant donné le caractère pré-islamique de cette écriture, et le maintien des nomades touaregs de leurs coutumes pré-islamiques.


L'origine de Tamerlan

Passons désormais de l'écriture à l'origine de Tamerlan. Ayant avoir délimité la zone d'origine de Tamerlan et la nature de sa langue maternelle, ce fut l'impasse. Car, contrairement aux révisionnistes, nous ne pouvons tout de même pas lancer des dés pour deviner son lieu de résidence. Donc, il nous fallait plus d'indices. Cette indice supplémentaire nous arrive de Jean-Loup Amselle qui précisa que Souleymane Kanté, quoiqu'il naquit en Guinée Conakry (une zone hors du quadrilatère touareg), sa famille fut originaire de Ségou au Mali (24) (à la limite du territoire touareg, facilement atteignable à dos de chameaux).


 
(Ségou)
Source : http://www1.rfi.fr/fichiers/sports/Can2002/site_specialcan2002/mali2002/villes/segou.htm
(Territoire touareg)


À partir de cette information il fut d'une grande aise de remonter l'histoire du Royaume bambara ("animiste") de Ségou fondé par Mamari Coulibaly vers 1712, soit à peine 79 ans avant la cérémonie du Bois Caïman.


 (Maison de Ségou)
Source : Office du Tourisme du Mali.

Puis, nous avons trouvé, dans l'histoire de ce Royaume, des éléments faisant écho au récit de Tamerlan par rapport au Prince tué sous sa garde :
"Il me dit qu'il était prêtre dans son pays ; qu'il faisait des livres ; que le grand roi de l'Afrique l'avait choisi pour l'instituteur de son fils ; qu'il voyageait avec ce prince, lorsqu'il fut attaqué par des nègres, qui les firent captifs (...) Il me dit que le fils du roi avait été tué dans le combat que sa garde soutint contre les nègres voleurs. Selon lui la ville qu'il me nomma était bâtie en bois, bien alignée, comme le Cap et le Port-au-Prince ; les maisons presque toutes à un étage."**** (25)
Effectivement, le Royaume de Ségou a eu un Prince tué par les armes avant 1791 (Bois Caïman). Il s'agissait de Bambougou N'Dji ou Bambougou N’Tji, le Prince encore célébré, en vertu d'un canal qu'il a fait creusé à Bambougou, cette ville (25 km de Ségou, la capitale du Royaume) dont il porta le nom. 
 (Lycée Bambougou N'Dji)
 Source : http://dawhois.com/www/lbnm.org.html


 (Canal creuvé par le Prince Bambougou N'Dji)
Source : Samba Lamine Traoré. La Saga de la ville historique de Ségou. Paris, 2012. p.57.

Qui était le Prince Bambougou N'Dji?
Réputé intelligent et courageux, le Prince N'Dji était le petit-fils du Roi-fondateur Mamari "Biton" Coulibaly qui régna de 1712 à 1755. Il était issu du mariage de la Princesse Makoura, fille du Roi Coulibaly, avec le futur Roi Ngolo Diarra (1766-1790/92). (26) Il fut l'unique Prince tué à la guerre, dans la Région Ségou (donc à plus de 3 mois de route des côtes atlantiques), sur les rives du fleuve Niger, selon certains :
''Il [Bambougou N'Dji] n'aura malheureusement pas l'occasion de régner, puisqu'il mourra avant son père en guerroyant sur la rive gauche du Niger, au Nord de Ségou, sans doute contre les peulhs ou les rescapés de l'armée de Sidi Baba." (27)
Pour d'autres, le Prince périt au village de Karadougou (situé dans la Commune de Siadougou, dans le Cercle de San, dans la Région de Ségou) :
" Le premier fils du roi N'Golo fut Bambougou N'Dji qui mourut avant son père, lors de l'expédition qu'il conduisit dans le Karadougou (région de Say et Samou) contre le vaillant Sidi Baba COULIBALY qu'il vainquit." (28)
Toutefois, entre la mort du premier Roi, son grand-père, et l'avènement au trône de son père Ngolo Diarra, il régna une période d'incertitude au cours de laquelle 2 fils du Roi furent assassinés (dont 1, Ali Coulibaly, qui s'était converti musulman et voulait renverser le statut "animiste" du Royaume et la consommation d'alcool), cependant, ils n'étaient plus Princes, mais Rois au moment de leur mort, car ils détenaient le pouvoir royal.
Nous affirmons que Bambougou N'Dji fut le prince dont Tamerlan avait l'éducation en charge, du au fait que Tamerlan parla du pouvoir du Roi qu'il servit :
"Il me parla beaucoup de la puissance de son roi ; du prix qu'il donnerait pour le racheter." (29)
Mais, avant 1790 (la date la plus tardive que Tamerlan aurait rejoint Saint Domingue) la paix et la prospérité régnèrent uniquement sous le règne de 2 Souverains, Mamari Coulibaly et Ngolo Diarra. Cependant, Tamerlan, né aux alentours de 1747, (d'après l'estimation de Malenfant qui le croyait âgé de 44 ans en 1791) n'avait qu'environ 8 ans à la mort de Mamari Coulibaly, survenue en 1755. Ainsi, Ngolo Diarra fut le Souverain en question, et Bambougou N'Dji, le Prince, son fils-aîné.
D'ailleurs, en juin 1791, disant que son Roi serait prêt à payer le prix fort pour le racheter, Tamerlan démontre qu'il croyait que son Roi était encore en vie. Or, l'histoire pense qu'il périt soit en revenant d'une campagne contre les Mossi, soit empoisonné (30) en 1790 ou 1792. Là une indice que Tamerlan arriva avant la date fatale de 1790. Ce qui va de soi, vu son aisance à communiquer en Créole ou en Français avec Malenfant en 1791.
Finalement, en ce qui à trait à la nature de la prêtrise de Tamerlan, nous pouvons affirmer que, d'ethnie bambara, Tamerlan était un prêtre traditionaliste, donc un Houngan, dans le langage de Saint Domingue ou d'Haïti, sa patrie d'adoption. Ce ne fut qu'à partir de la prise de Ségou par El Hadj Oumar Tall, en 1861, soit 70 ans après la cérémonie du Bois Caïman, et 57 ans après l'indépendance d'Haïti, qu'entama la conversion des Bambara à l'islam :
"La conquête Toucouleur est marquée par la domination du marabout Saidou Omar Tall connu sous le nom d’EL HADJ OMAR TALL, qui s’empara de Ségou (1861) (...)  Après son entrée à Ségou le 10 mars 1861, EL HADJ OMAR invita à la conversion à l’Islam." (31)
Donc, les faits nous amènent à conclure que Tamerlan fut un Bambara, écrivant le N'Ko+, l'écriture sortant le Verbe des Eaux primordiales, domaine de Faro, la Déesse encore vénérée en Haïti. Il vivait à Bambougou, au Mali où résidait son protégé, le Prince Bambougou N'Dji, chef du district. Il fut un Houngan (prêtre traditionnel) perpétuant le culte bambara de Faro et de Pemba, encore honorés en Haïti. Et ayant formulé par écrire, à Boucassin, non loin de Port-au-Prince, en 1791, l'année de la cérémonie du Bois Caïman, une prière++ de plus de vingt lignes qui sera intégrée dans le corpus traditionnel haïtien, fait de lui un Dougan (Scribe traditionnel haïtien).  Il aurait pu être le premier Dougan. Mais il était, en fait, le second, puisqu'il a suivi les traces de son Roi, Ngolo Diarra, le premier Dougan, le premier muni de tels attributs.+++

Et s'il demeure des doutes sur la religion dans laquelle Tamerlan exerçait sa prêtrise, cet extrait sur les sacrifices rituels toujours en vigueur sur la tombe du Prince N'Dji Diarra dit Bamgoudou N'Dji devrait dissiper les :
"Il [Bambougou N'Dji] fut enterré à Banbougou. Sa tombe se trouve dans une case à terrasse de forme cubique que l'on aperçoit de loin sous un « balanzan », dans les champs de mil situés entre la route de Ségou-Markarla et le village. Cette case fut toujours bien entretenue et on y voit souvent les traces des sacrifices rituels qu'on continue à venir y faire pour s'attirer les bonnes grâces de son âme élevée au rang d'une divinité." (32)
 (Case contenant la tombe du Prince Bambougou N'Dji ; vide car le cadavre du Prince non retrouvé)
 Source : Samba Lamine Traoré. La Saga de la ville historique de Ségou. Paris, 2012. p.56.

Car, ce Prince, élevé "au rang d'une divinité" va à l'encontre du dogme musulman. Mais s'accorde parfaitement avec la vision traditionnelle mandé autant qu'haïtienne. D'ailleurs, Bambougou N'Dji, le protégé de Tamerlan, était lui-même fils d'un grand-prêtre traditionaliste. Vu que son père, le Roi :
"N'Golo Diarra assuma sous le règne de Biton Mamari Coulibaly les responsabilités de grand prêtre des idoles et de chef de la garde royale composée de trois mille jeunes guerriers." (33)
Outre la connexion avec le Prince malien qui valide à la fois l'origine et la spiritualité de Tamerlan, il existe une preuve supplémentaire de l'appartenance traditionaliste de Tamerlan. Explorons-la.


La preuve ultime, selon Malenfant

Nous pouvons donc conclure avec certitude que Tamerlan n'adhérait pas à la foi musulmane, du simple fait que le Colonel Malenfant qui a pourtant géré la plantation au Boucassin à laquelle Tamerlan appartenait, ne croyait pas celui-ci musulman. Un extrait dans l'ouvrage de Malenfant dévoile que ce colon n'a jamais rencontré de captifs (esclaves) islamisés à Saint Domingue, ce qui inclut Tamerlan :
"Il y a des colons qui m'ont assuré qu'ils avaient eu pour esclaves des noirs mahométants [musulmans], et même des derviches." (34)
Du fait que le Colonel Malenfant a dû être assuré par d'autres colons ayant déjà possédé de noirs de cette foi, relate de la rareté de captifs (esclaves) islamisés dans cette colonie.



* Tamerlan a bien affirmé qu'il "fut attaqué par des nègres, qui les firent captifs", puis les vendirent aux blancs en esclavage. Une telle affirmation de Tamerlan l'ayant vécue dément le discours des africanistes révisionnistes qui sont trop lâches, trop irresponsables et trop réactionnaires pour admettre que les noirs vendaient les leurs. Or, la Tradition haïtienne découlant de ce fratricide retient avec justesse que "depi nan Ginen, nèg pa vle wè nèg", signifiant que depuis l'"Afrique", les noirs se détestaient et se causaient du tort. L'histoire d'un Tamerlan kidnappé et de son Prince assassiné en témoigne.
** Le fait que le Colonel Malenfant ait précieusement conservé sur sa personne l'écriture de Tamerlan, et qu'aucun mal ne soit arrivé à ce captif suite à la découverte qu'il savait lire, dément une autre falsification voulant qu'un captif sachant lire était puni de mort. Les tenants d'un tel argument erroné, majoritairement des révisionnistes islamiques, arrivent fort aisément à berner le commun des mortels, les administrant ensuite d'autres mensonges visant l'ajout des arabo-musulmans dans la révolution haïtienne et le retrait de son unique acteur, le brave peuple noir traditionaliste.
*** Pour vous familiariser avec les rudiments de l’écriture N’ko, visiter : http://nkoinstitute.com ; et pour entendre la tonalité des lettres N'ko, allez sur : http://www.kanjamadi.com/Jedekara/kogbe-4-.htm
**** La description de Tamerlan de sa ville "Selon lui la ville qu'il me nomma était bâtie en bois, bien alignée, comme le Cap et le Port-au-Prince ; les maisons presque toutes à un étage." (35)  correspond à la description flatteuse de l'explorateur Mungo Park de la ville de Sego (Segou), sauf que les maisons n'étaient pas vraiment faites de bois comme Tamerlan l'a exagéré, mais d'argile :

"Il [Mungo Park] décrit la ville de Sego comme étant constituée proprement de quatre villes, deux sur la rive nord du Niger, appelées Sego Korro et Sego Boo, et deux sur la rive sud appelée Sego Soo Korroo et Sego See Korro. Les maisons ont été construites d'argile, de forme carrée, avec des toits plats, et certaines d'entre elles avaient deux étages, et beaucoup étaient blanchies à la chaux, le nombre sur les habitants qu'il estime à 30 000. «La vue de cette ville vaste», Dit-il, «les nombreuses canoës sur le fleuve, la population bondée et l'état cultivé de la campagne environnante formaient tout à fait une perspective de civilisation et de magnificence que je ne m'attendais pas à trouver dans le sein de l'Afrique.»" (36)
+ La première lettre dans l'alphabet N'Ko produisant le son "a", est représentée par une barre verticale : "|". Ce caractère provint de 'alif dans l'alphabet arabe. Cet emprunt, ne résulte pourtant pas d'une forme d'islamiter. Il renvoi plutôt aux études de Ngolo Diarra, Roi de Ségou et bienfaiteur de Tamerlan, à Tombouctou (Tobout dans la mémoire haïtienne pour indiquer un lieu extrêmement loin). Ngolo Diarra, pourtant "animiste" ou traditionaliste, fut envoyé jeune à l'université islamique de Tombouctou par le Roi Mamari Coulibaly, car la Reine Nadjè, sa préférée, avait pratiquement adopté le petit Ngolo Diarra qui fut à ce moment-là un "Di-songo", c'est-à-dire un enfant-esclave (un restavèk dans le langage haïtien) donné en guise de payement de l'impôt "Di-songo", dû au Souverain de Ségou. (37) Expulsé diplomatiquement de Tombouctou par le Cheik Kounta "sans doute par crainte de l'ascendance que cet esclave trop brillant [et "animiste"] peut avoir dans les milieux jeunes de sa cour", (38) Ngolo Diarra, de retour à Ségou pourrait bien être, dans sa jeunesse, à l'inventeur de l'alphabet N'Ko. Cela expliquerait la présence d'une ou de deux caractères arabes dans le N'Ko qui relève plus de l'habitude que d'une adhésion au dogme musulman. Le N'Ko, dont Tamerlan n'a pas revendiqué la paternité, laissant penser qu'il lui est antérieur, fut donc créé uniquement afin de refléter la réalité traditionnelle bambara (mandé). C'est donc le processus inverse de l'écriture Ajami à caractères arabes qui fut élaborée dans le souci pratique de mieux ancrer la doctrine arabo-musulmane en "Afrique" noire via l'ajout des spécificités linguistiques "africaines" à l'alphabet arabe. Il va sans dire que la perte de Tamerlan, probablement l'unique auteur (fabricant de livres), et également celle du Prince instruit et innovateur Bambougou N'Dji, ont considérablement freiné l'expansion du N'Ko et du savoir au Royaume. Le prosélytisme musulman, arrivant en 1861, a du forcer le N'Ko dans la clandestinité jusqu'à sa résurrection 88 ans plus tard par Souleymane Kanté.
++ Tamerlan écrivait ce que la Tradition haïtienne appelle la prière Djò, mot mandé (Djo, dyo, dyû ou gyo, etc.) pour dire "Divinité" ou le "Divin". (39) Ainsi, Djô embrasse tout dans la société mandé : Soundiata Keita, le Roi et fondateur de l'Empire du Mali ("Afrique" de l'Ouest : 1230-1600) portait le titre de Mansa-Dyô, (40) les sociétés initiatiques se nomment "Sociétés Dyo", (41) dont l'une porte le nom de Koré, (42) mot également retrouvé dans la langue haïtienne (Kore), mais dans un sens plus large. La politique n'est pas exempte de Djô, car "Tout le système politique manding repose d'ailleurs sur le pacte dyo passé entre les grandes familles". (43) Et de la manière Djô ou la Divinité ancestrale gouverne l'ensemble de la civilisation mandé, de même cette civilisation est omniprésente dans l'Haïti traditionnelle, que ce soit par l'héritage : en provenance du Royaume de Ségou (au Mali : 1712-1861) d'où provenait Tamerlan et sa Priyè Djò ; ou du Royaume Kaarta (au Mali : 1650-1854), Royaume mandé rival de Ségou, ayant fourni, pensons-nous, à Haïti le rythme Kata ; ou de la région de Wassoulou (Mali), dont le N'Gri, son rythme de tambour-archétype, fut conservé ingénieusement dans le Nord d'Haïti sur le nom de Madanm Tobodop, et ce, bien avant l'Empire Wassoulou (au Mali : 1878-1898) ; ou finalement héritage venant de Kita (Ouest du Mali), ville sacrée et de pèlerinage des peuples mandé traditionalistes, également le lieu d'origine de la Nanchon Kita et des Lwa Kita en Haïti.
Mise à part, la Prière Djò ou "Priyè Djò", comportant la litanie syncrétique "Sen Djò" (Saint Djò), le mot Djò se retrouve également dans divers chants sacrés haïtiens où il conserve le même sens archétypique que dans le monde mandé :


Hounsi Djò e, Hounsi Djò e, nou wè ase.

Traduction :
Hounsi Djò e, Hounsi Djò e, nous avons assez vu.


Et même le lanbi, l'instrument de musique iconographique de la révolution haïtienne, à l'aide duquel des bandes marronnes signalaient leur rencontre, puise son origine dans la culture traditionnelle bambara. Car les associations politico-militaires bambara du nom de "Ton" se servaient d'instruments sonores similaires portant le nom de "Baruba" :
"Ton-Massa Dembélé, chef de l'infanterie, vieux compagnon de Mamari Biton Coulibaly, accéda au pouvoir. Son prénom signifierait prince d'association. Ce fut lui qui était en effet chargé de convoquer à la demande de Mamari Biton Coulibaly les réunions du ton, l'organisation politico-militaire qui fut au début l'ossature du royaume bamanan de Ségou. Il [Ton-Massa Dembélé] avait pour cela un baruba, sorte de cor fabriqué avec une défense d'éléphant ou une corne de coba dans lequel il soufflait pour sortir des sons qui, pour tous les membres du ton, signifiaient : "venez à la réunion !"" (44)
(Capture filmique du guerrier bambara soufflant dans le baruba)
Source : "‪Da Monzon, la conquête de Samanyana‬". Mali, 2011. Réalisateur : Sidy Fassara Diabaté. Fiction. 110 min. Timeline : (37:23-37:32)

 (Le Marron Inconnu - Statue du marron de St Domingue soufflant dans le lanbi révolutionnaire )
Source : http://www.jadorehaitisa.com/port-au-prince
 
Fabriqués à l'aide de cornes de mammifères, et non de coquilles de crustacés comme à Saint Domingue, les baruba bambara étaient utilisés dans un but militaire analogue à Saint Domingue.
  
Voici la corne de Coba formant le baruba, pour un usage identique au lanbi haïtien :


Source : https://www.delcampe.net/en_GB/collectables/trade-cards/unclassified/image-ima-animaux-antilope-coba-afrique-l-ami-chez-les-betes-serie-a-n-8-172214800.html


Et les mots bambara s'y associant, tels que "Ton" et "Massa", font également partie du lexique sacré haïtien. On ne saurait ne pas aussi mentionné le mot "Masala" qualifiant en Haïti, à la fois des Lwa, des familles de Lwa et un Rite. En entendant "Masala" dans les chants-rituels haïtiens, plusieurs auraient tendance à considérer ce mot d'origine musulmane. Toutefois, "Masala" puise sa provenance dans la culture traditionnelle bambara où il signifie "causerie, conversation" (45), comme le démontre cet extrait télévisuel mettant en scène le deuil causé par le décès du Prince Bambougou N'Dji :



Source : "Les Rois de Ségou", Épisode 15 : L'amour de Penda. Mali, 2010. Réalisateur : Boubacar Sidibé. Fiction (Série). Timeline (08:10-10:04)


+++ Le troisième Dougan est donc moi-même, Rodney Salnave, le Houngan ayant établi l'antériorité multi-centenaire de l'écriture N'ko, à partir de l'histoire haïtienne.




Notes
(1) Colonel Malenfant. Des colonies et particulièrement de celle de Saint-Domingue; mémoire historique. Paris, 1814. p.213.
(2) Colonel Malenfant. Op. Cit. pp.212-213.
(3) Les Affiches Américaines du mercredi 16 mai 1770. Parution no.20.p.229.
(4) Les Affiches Américaines du vendredi 31 décembre 1773. parution no.52. p.624. 
(5) Les Affiches Américaines du mercredi 22 juin 1774. Parution no.25. p.291.
(6) Les Affiches Américaines du samedi 27 décembre 1777. Parution no.52. p.624.

(7) Les Affiches Américaines du mardi 13 avril 1779. Parution no.15. pp.0.
(8) Les Affiches Américaines du samedi 12 juillet 1788. Parution no.28. p.880.
(9) Les Affiches Américaines du mardi 20 juin 1780. Parution no. 25. p.195. 
(10) M.-L-.E. Moreau de Saint Mery. Description topographique, physique, civile, politique et historique de la…, Tome 1. Philadelphie, 1797. p.541.
 

(11) Colonel Malenfant. Op. Cit. p.214.
(12) Colonel Malenfant. Ibid. p.213.
(13) LeGrace Benson.  Qismat of the Names of Allah in Haitian Vodou. In : Journal of Haitian Studies, Vol 8 No. 2, 2002.
(14) Michael Gomez. Black Crescent : The Experience and Legacy of African Muslims in the Americas. New York, 2005. p.86.
(15) Sylviane A. Diouf. Servants of Allah : African Muslims Enslaved in the Americas. New York, 1998. p.124.
(16) Jean-Loup Amselle. "Le N’ko au Mali" In : Cahier d’études africaines, 1996, vol.36, issue 144, pp.823-826.
(17) Colonel Malenfant. Op. Cit. p.213.
(18) "Solomana Kanté : The Inventor" Lien Permanent : http://nkoinstitute.com/the-inventor/ ; Consulté le 8 février 2017.
(19) Jean-Loup Amselle. Op. Cit. pp.823-826.
(20) Germaine Dieterlen. « Réflexions sur la parole, le sacrifice et la mort dans quatre populations de l’Afrique de l’Ouest », Systèmes de pensée en Afrique noire [En ligne], 5 | 1981. p.63.
(21) Jean-Loup Amselle. Op. Cit. pp.823-826.
(22) Colonel Malenfant. Op. Cit. p.213.
(23) Ibid.
(24) Jean-Loup Amselle. Op. Cit. pp.823-826.
(25) Colonel Malenfant. Op. Cit. pp.213 ; 214.
(26) Prof. Amadou Bina Coulibaly. L'histoire de Ségou. Janvier 2010. p.7. [En ligne] Lien Permanent : http://www.youscribe.com/catalogue/livres/education/ressources-pedagogiques/l-histoire-de-segou-1689274
 

(27) Samba Lamine Traoré. La Saga de la ville historique de Ségou. Paris, 2012. p.54.
(28) Mamadou Haïdara-Maha. Les anonymes. Bamako, 1997. p.36. 
(29) Colonel Malenfant. Op. Cit. p.214.
(30) Prof. Amadou Bina Coulibaly. Op. Cit. p.8.
(31) Prof. Amadou Bina Coulibaly. Ibid. p.10.
(32) Samba Lamine Traoré. Op. Cit. p.54.
(33) Samba Lamine Traoré. Ibid. p.43.
(34) Colonel Malenfant. Op. Cit. p.215.
(35) Colonel Malenfant. Ibid. p.214.
(36) Mungo Park. The Life and Travels of Mungo Park. London, 1838. pp.80-81.
(37) Samba Lamine Traoré. Op. Cit. p.43.
(38) Prof. Amadou Bina Coulibaly. Op. Cit. p.6.
(39) Michel Leiris. La langue secrète des Dogons de Sanga (Soudan français)‬. Paris, 1948. p.449.
(40) Mémoires de la Société de linguistique de Paris‬, Volume 18. Paris, 1914. p. 284.
(41) Bernard Nantet. Dictionnaire d'Histoire et Civilisations africaines. Paris, 1999. p.33.
(42) Ibid.
(43) Cultures Et Développement - Volume 5. Paris, 1973. p.286.
(44) Samba Lamine Traoré. Op. Cit. p.38.
(45) Lexique bambara [En ligne] Lien permanent : http://www.bambara.org/lexique/lexicon/main.htm   


Comment citer cet article:
Rodney Salnave. "Tamerlan n'était pas musulman". 8 février 2017 ; Modifié le 25 sept. 2020. [en ligne] URL : http://bwakayiman.blogspot.ca/2017/02/tamerlan-netait-pas-musulman.html ; Consulté le [entrez la date]



Contact : asaomedia@yahoo.com
Twitter : @BwaKayIlMent

Tous droits réservés. Aucune partie de cette page Web ne peut être reproduite, transmise, vendue ou donnée sous quelque forme ou par quelque moyen graphique, électronique ou mécanique, y compris la photocopie, l'enregistrement (recording ou taping), la numérisation ou autrement ou par tout système de stockage et de recherche d'informations, ou transmise par courrier électronique sans l'autorisation écrite préalable de l'auteur et / ou de l'administrateur, sauf dans le cas de citations brèves pour des présentations, des articles ou des revues. 

Copyright Ⓒ ASAOMEDIA, 2016-2020