Boukman ne s'appelait pas Zamba

                                                                              
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    (Li li an kreyòl)       (English version)
Auteur : Rodney Salnave
Fonction : Dougan (Scribe)
Date : 13 octobre 2016
(Mise à jour: 23 déc. 2018)


L'histoire d'Haïti, telle qu'elle est racontée aux Haïtiens, consiste très souvent, en une suite de mensonges aisément démontés par quiconque prend la peine de vérifier les sources. Mais, qui en Haïti, sinon le chercheur étranger, fera cette vérification des sources, dans ce pays à l'éducation catholique féodale calquée sur celle de la France coloniale d'avant la réforme éducationnelle progressiste et laïque de Jules Ferry (1881-1882)?
Jusqu'à présent, horni la période des premiers historiens haïtiens du 19e siècle, Baron de Vastey, Thomas Madiou, puis les frères Ardouin (1850-60), plus aucun Haïtien s'est penché sur les vérités historiques de son pays. Trop paresseux pour scruter les montagnes poussiéreuses de documents archivés, l'historien ou "chercheur" haïtien préfère de loin étaler son savoir et son intellect en analysant, en surface, des données historiques fausses.
Donc, de 1860 (les frères Ardouin) à nos jours, seul Jean Fouchard a effectué des recherches sérieuses au niveau des archives. Et ce fut pour le pire. Car, soit par malhonnêté (lorsqu'il insinua que l'Empereur Dessalines fut l'esclave de Toussaint Bréda (1) - alors qu'il avait en sa possession des données généalogiques prouvant le contraire) ; soit par incompétence ou xénophilie, lorsqu'il exagéra la présence islamique à Saint Domingue et la connaissance des captifs (esclaves) islamisés, résultant à de nouveaux mensonges et légendes urbaines, dont la thèse islamique que nous combattons ici.*


1- Quelle est donc le lien entre Jean Fouchard et Zamba Boukman?

Le prénom "Zamba" n'aurait pas été universellement attribué à Boukman sans l'apport de Jean Fouchard qui l'a diffusé en pompe et popularisé. (2) Fouchard, cet historien de renom, en 1953, a repris "Zamba" du texte du religieux Jean Marie Jan, sans vérifier la véridicité de ce texte catholique partisan débordant d'incohérences plus ridicules les unes que les autres.

1.1- Le texte de Jean Marie Jan

Nulle part dans les textes dominguois, avons-nous trouvé que l'on référa-t-on à Boukman par le prénom "Zamba". Mais pourtant le monde entier est convaincu que cet impétueux leader répondait à ce prénom. Voyons à quel point ils ont tort.

Ce ne fut, pourtant, qu'en 1951 qu'un ouvrage du religieux Jean Marie Jan associa "Zamba" à Boukman. Cette publication prétendit dévoiler l'observation d'un groupe d'étudiantes des Dames Religieuses du Cap, en 1791, au moment où Boukman aurait tenté d'attaquer la ville du Cap-Français (actuelle Cap-Haïtien). Mais, comme nous le verrons, il est impossible de prendre au sérieux "Zamba" comme prénom de Boukman, car la publication du prêtre l'annonçant, au point de vue historique, n'est qu'un torchon :




"Insurrection de 1791: En novembre 1791, les classes d'élèves vaquèrent, faute d'élèves. Pendant la nuit, on entendait ces mots incompris des blancs, chantés alternativement par une ou plusieurs voix. Le roi de la secte des Vaudoux venait de déclarer la guerre aux colons, et le front ceint d'un mouchoir rouge en guise de diadème, accompagné de la reine de la secte revêtue d'une écharpe de même couleur..." (3)

a) Le texte prétend que la "guerre" fut déclarée en novembre 1791, alors qu'en réalité, la "guerre" éclata en août ; trois mois auparavant.

b) Puis, en usant de l'expression "roi de la secte des Vaudoux", associée à "mouchoir rouge en guise de diadème", l'auteur révèle que la source de ses emprunts est le texte de Moreau de Saint-Méry daté de 1798, soit 7 ans après l'insurrection générale et la mort de Boukman :




"Le Roi Vaudoux a des mouchoirs plus beaux et en plus grande quantité, et est tout rouge et qui cient son front, est son diadême. Un cordon communément bleu, archève de marquer son éclatante dignité.
La Reine vêtue avec un luxe simple, montre aussi sa prédilection pour la couleur rouge, qui est le plus souvent celle de son cordon ou de sa ceinture." (4)

c) L'auteur se discrédita d'avantage en faisant également usage de la phrase : "agitant les grelots dont était garnie une boîte renfermant une couleuvre" :


"Le roi de la secte des Vaudoux venait de déclarer la guerre aux colons, et le front ceint d'un mouchoir rouge en guise de diadème, accompagné de la reine de la secte d'une écharpe de même couleur, agitant les grelots dont était garnie une boîte renfermant une couleuvre, marchait à l'assaut des villes de la colonie." (5)

Ici, l'emprunt est fait, non pas de Moreau de Saint-Méry, mais plutôt de la publication de Gustave d'Alaux traitant de l'Empire de Soulouque en 1850, soit 59 ans après les événements de 1791 que le témoignage était supposé décrire :


"La commotion désordonnée qui agite la tête et les épaules du roi vaudoux se transmet de proche en proche à tous les assistans. Chacun d'eux est bientôt en proie à un tournoiement vertigineux que la reine, qui le partage, entretient en agitant les grelots dont est garnie la boîte de la couleuvre. Les rires, les sanglots, les hurlemens, les défaillances, les morsures ajoutent leur délire au délire croissant de la fièvre et du tafia." (6)

Ces emprunts au texte de 1850 prouvent donc que le récit de Jean Marie Jan fut postérieur à 1791. Autrement dit, il n'est pas authentique. D'ailleurs, le Français Gustave d'Alaux, à lui-même puisé au texte de Moreau de Saint Méry dans un but similaire à Jan, qui fut de dénigrer l'Empereur Soulouque en l'attribuant des rituels ayant été observés, non pas dans son empire, mais plus de 52 ans plus tôt, du temps de la colonie.


d) Le texte de Jean Marie Jan proclama que l'attaque de Boukman du Cap a avoir eu lieu le 22 novembre (1791) :




"Le 22 novembre fut surtout célèbre par les incendies que les révoltés allumèrent dans l'Ile, se ruant indifféremment sur tous les habitants ; armés de pieux aigus, faute de fusils. Ils parcouraient la colonie semant partout la terreur. Ils vinrent mettre le siège devant le Cap-Français." (7)

Cependant, Boukman, le chef rebelle était déjà mort depuis le début à la mi-novembre, tué à l'Acul du Nord, et sa tête décorant la place publique du Cap qu'il n'a d'ailleurs jamais attaqué.

e) L'auteur catholique, tenta d'apporter un semblant de crédibilité à sa falsification, en y introduisant "le Zamba", non pas comme prénom de Boukman, mais plutôt comme ce qu'il croyait être son titre liturgique :


"Au milieu des révoltés se trouvait le Zamba Boukman, les excitant à l'assaut de la caserne et du couvent qui contenaient bon nombre de jeunes filles et des colons." (8)

Dans son ignorance de la Tradition haïtienne, le prêtre a confondu "Zanba" qui ne veut absolument rien dire, avec "Sanmba", grade ou titre officieux d'un chanteur traditionnel hors pair:


"Sanba n. : Chanteur, compositeur du terroir." (9)

f) L'auteur n'a pas lésiné sur les clichés traditionnels pouvant l'aider à authentifier son faux document. Et les écrits coloniaux de Moreau de Saint-Méry lui offrirent un chant cliché attribué aux adeptes du culte traditionnel :


"Les régentes des classes remarquaient bien une certaine agitation dans le coeur des négresses, agitation qui augmentait surtout après la ronde qu'elles avaient adoptée à l'exclusion de toute autre : Eh eh, Bomba. Eh eh... Canga bafio te — Canga mousse dé lé. Canga do ki la. Canga li". (10)

Malheureusement, ce ne furent guère les étudiantes des Dames Religieuses du Cap, mais Moreau de Saint Méry, le premier a publié ce chant sacré en 1798 :




"Le frappant ensuite légèrement à la tête avec une petite palette de bois, il entonne un chanson africain, (*) que répètent en choeur ceux qui environnent le cercle ; alors le récipiendaire se met à trembler et à danser... 
(...)
(*) Eh ! eh ! Bomba, hen ! hen !
     Canga bafio té
     Canga moune dé lé
     Canga do ki la
     Canga li." (11)

Pareillement, quoiqu'il n'en prit pas crédit, contrairement à Jean Marie Jan, le Français Gustave d'Alaux n'a pu s'empêcher de reproduire ce chant colonial, comme on peut le voir, à la couverture de la partie de son texte de 1850 ayant servi de source à Jean Marie Jan :





"L'ILLUMINISME NÈGRE. - LES DÉVOTIONS DE MME SOULOUQUE.
- LA CHASSE AUX FÉTICHES

Eh! eh! Bomba, hen! hen (t)!                           
Canga bafio té                                            
Canga moune dé lé                                 
Canga do ki la                                
Canga li." (12)                                 

Certes, le chant sacré "Eh! eh! Bomba..." a été receuilli par Moreau de Saint Méry, et non Gustave d'Alaux. Mais, ce dernier a reconnu avoir puisé chez Saint Méry, contrairement à Jean Marie Jan prétendant publié un récit de 1791, tout en plagiant des ouvrages ultérieurs.

g) L'auteur, Jean Marie Jan, n'ayant pas froid aux yeux, fit usage de l'ensemble des phrases célèbres flottant dans la littérature pour justifier son récit dont le but est de dénigrer la révolution haïtienne et les pratiques ancestrales à sa base. Pour atteindre son but, il plaça dans la bouche de Boukman, la phrase célèbre "couté la liberté, li parlé coeur nous tous", non pas au Morne Rouge, mais durant l'attaque du Cap que Boukman n'a jamais entreprise :


"Il leur rappelait dans ses improvisations poétiques, que les Blancs étaient maudits de Dieu, parce qu'ils étaient oppresseurs des Nègres qu'ils écrasaient sans pitié, et il terminait chaque refrain par ces mots : Couté la liberté, li parlé coeur nous tous." (13)

Mais on a bien reconnu "Couté la liberté, li parlé coeur nous tous", la dernière ligne du poème célèbre d'Hérard-Dumesle publié en 1824, non pas en 1791, mieux connu sur le nom de "Serment de Boukman" ou "Prière de Boukman" :



Bondié qui fait soleil, qui clairé nous en haut,
Qui soulevé la mer, qui fait grondé l’orage,
Bon dié la, zot tandé? caché dans youn nuage,
Et la li gadé nous, li vouai tout ça blancs faits !
Bon dié blancs mandé crime, et part nous vlé bienfaits
mais dié là qui si bon, ordonnin nous vengeance ;
Li va conduit bras nous, la ba nous assistance,
Jetté portrait dié blancs qui soif dlo dans gié nous,
Couté la liberté li palé coeurs nous toùs. (14)

Nous avons disqualifié, dans un article précédent, ce "Serment de Boukman" ou "Prière de Boukman" sur la base de son Créole qui est non conforme à celui parlé dans le Nord de Saint Domingue en 1791. Ce même argument disqualifie tout autant "Zamba", titre mal prononcé par l'auteur, que plusieurs ont détourné en prénom de Boukman. Car, pour être conforme à la forme possessive du Nord, "Couté la liberté, li palé coeurs nous tous" devrait être "Couté la liberté, li palé dans coeurs à nous tous".
Par exemple, tout Haïtien connaît le chant révolutionnaire :


Grenadye alaso sa ki mouri zafè ra yo.
Nanpren manman. Nanpren papa.
Sa ki mouri, zafé ra yo.

Traduction :
Grenadiers, à l'assaut! Ceux qui meurent, c'est leur affaire.
Il n'y a point de mère. Il n'y a point de père.
Ceux qui meurent, c'est leur affaire.

Grace à "ra" ou "à" qui est une forme possessive conforme au Créole du Nord, nous ne pouvons disqualifier ce chant révolutionnaire. D'autant plus que le récit d'un témoin oculaire permet de l'authentifier. (15) Mais Jean Marie Jan n'a fait usage de ni "ra", ni "a", le marqueur de possession approprié dans ce contexte, signifiant que grammaticalement, son récit est faux. D'ailleurs, tous les écritures de l'époque tiennent compte de cette forme possessive ayant eu cours dans la colonie. Mais pourtant, aucun texte d'historiens haïtiens fait état de ces marqueurs. Car, il s'agit de spéculations de petits intellectuels de pacotille, ignorant tout de l'univers linguistique haïtien qui les entoure.

h) Dans ce dernier extrait, l'audace de Jean Marie Jan se révéla sans borne. Motivé par l'intolérance religieuse, l'auteur catholique révisionniste, osa même introduire la Princesse Améthiste, fille du Roi Henry (Christophe) et de la Reine Marie-Louise, comme une mulâtresse, alors que nul de ses deux parents sont blancs ; puis il plaça la Princesse à la tête de la bande de fanatique dénudée menaçant le Cap :


"Princesse Améthyste : Une ancienne élève, des plus intelligentes, appartenant à la classe de mulâtres, devenue plus tard le chef d'une compagnie d'Amazones, et connue dans l'histoire sous le nom de Princesse Améthyste, initiée à la secte des Ghioux ou Vaudoux, sorte de maçonnerie religieuse et dansante, introduite par les nègres Aradas à Saint-Domingue, entraîna dans la secte bon nombre de ses compagnes." (16)
Mais voilà que, d'après l'Almanach Royale, la Princesse Améthiste n'était même pas née en 1791. Elle vint au monde que 7 ans plus tard, le 9 mai 1798. Et ses parents, les futures Roi et Reine, n'étaient même pas encore mariés en 1791. Ils le seront qu'en 1793. D'ailleurs, née en 1778, la Reine Marie-Louise, la mère de la Princesse Améthiste, n'était âgée que de 13 ans en 1791; prouvant ainsi l'absurdité de cette révision catholique et la médiocrité des historiens haïtiens, dont Jean Fouchard, ayant laissés passer cette rigolade historique :

 "DE LA FAMILLE ROYALE.
SA Majesté HENRY, Roi d'Hayti, né le 6 Octobre 1767, sacré et couronné au Cap-Henry, le 2 Juin 1811, marié le 15 Juillet 1793, à
Sa Majesté MARIE-LOUISE, Reine d'Hayti, née le 8 Mai 1778, sacrée et couronnée au Cap-Henry, le 2 Juin, 1811. Du mariage de leurs Majestés :
S. A. R. Monseigneur JACQUES-VICTOR-HENRY, né le 3 Mars 1804, Prince Royal d'Hayti.
S. A. R. Madame FRANÇOISE-AMÉTHISTE-HENRY, Madame Première, née le 9 Mai 1798.
S. A. R. Madame ANNE-ATHÉNAÏRE-HENRY, née le 7 Juillet 1800." (17)
Voici un portrait de la princesse Améthiste (au centre), daté fort probablement de 1815, date à laquelle le portrait de son père, le Roi Henry, fut effectué par Richard Evans, le peintre de la Couronne. Née en 1798, la princesse Améthiste était âgée de 17 ans en 1815. Sa soeur cadette, la princesse Athénaïre avait 15 ans et le prince Victor en avait 11. Est-ce là le portrait d'une jeune fille qui bondirait d'une salle de classe pour s'exhiber, demi-nue, dans les rues du Cap, en chantant des obscénités?


(La Princesse Améthiste et son frère et soeur)
Source : Portrait (non certifié) par Richard Evans en 1815. ; Alexander Gallery, New York.

Bien sur que non. D'ailleurs, la Princesse Améthiste n'a jamais étudié dans la ville du Cap. Elle et sa soeur recevaient leurs cours, dispensés par 2 tutrices américaines, directement dans leur palais royal à Sans Soucy (Milot). Et même après la chute du Royaume, la Princesse Améthiste fut reconnue, par ses tutrices retournées à Philadelphie, non pas comme une dépravée, comme le propagent les historiens incompétents, négligents ou malhonnêtes, mais comme une jeune femme polie ayant bien progressée en classe. (18)
Au vu d'un tel manque de vraisemblance historique, "Zamba" ne saurait être pris comme le prénom de Boukman. D'ailleurs, Jean Marie Jan, n'avait pas même envisagé cette possibilité. Car ce prénom comme un autre n'avançerait pas sa cause autant que d'authentifier Boukman comme "Sanmba" (faussement Zamba), un titre religieux traditionnel. Et aussitôt fait, il pourra se servir de ce titre afin de mieux ridiculiser la civilisation ancestrale que Boukman représenta et pour laquelle il s'est battu, et a vaillamment donné sa vie face à l'oppression occidentale et chrétienne dont Jean Marie Jan fut le fier représentant.


2- L'origine de Zamba et le texte de Gustave d'Alaux

Notre supposition que Jean Marie Jan avait eu vent des écrits de Gustave d'Alaux s'est avérée vraie.  La preuve étant que Gustave d'Alaux, un diplomate français calomniateur et porté sur l'histoire d'Haïti, fut le premier, en parlant d'un maître chanteur-traditionaliste, à confondre le mot créole "samba" par "zamba". Dès 1850, dans l'ignorance, il définit "zamba" de cette manière :
"… thème ou de refrain aux satires du zamba. — Qu'est-ce que le zamba? C'est d'abord un devin, c'est ensuite un ménétrier-compositeur, c'est en troisième lieu, un poète de profession : triple spécialité qui en fait l'homme indispensable des fêtes nègres; car il n'y a pas ici de fêtes sans sorcellerie, pas de sorcellerie sans danse, pas de danse sans chanson. Le vrai zamba, celui dont un proverbe dit : C'est douvant tambour na connait zamba (1), le vrai zamba improvise séance tenante, et pendant un temps indéterminé, paroles, air et accompagnement en adaptant l'air au rhythme particulier de chaque figure, et les paroles à la position publique ou privée d'une ou de plusieurs des personnes présentes.
(...)
(1) "C'est devant le tambourin qu'on connaît le zamba." (À l'oeuvre, on connaît l'ouvrier.)" (19)
Puis, Gustave d'Alaux fut informé par des Haïtiens que le mot "zamba" n'existait pas dans le Créole haïtien. Alors, dans sa publication suivante de 1852, il a sagement remplacé "zamba" par "samba" :
(...)
"Pour ces dames trop positives,—bien que littéraires à leur façon, car elles cultivent le carabinier,—le plus enthousiaste imitateur des Méditations ou des Orientales n'est, en un mot, qu'une manière de grand fainéant, que l'abus du «papier parlé» et le manque de gaieté, la rareté du mot pour rire, distinguent seuls, non à son avantage, du samba vagabond qui fait la joie et l'orgueil des tonnelles.
(...)
Ce n'est point, par exemple, la faute des chroniqueurs de la première période (celle qui finit au livre de M. Dumesle), si nous ne prenons pas les chefs de l'insurrection noire de 1791 pour autant de Spartacus développant en style humanitaire, à quelque cent mille nègres imbus des principes de l'Encyclopédie, la théorie des droits de l'homme. Substituez à la théorie les dictons de l'atelier, remplacez Spartacus par le premier samba gouailleur qui, au bruit des coups de fouet, chantonna sournoisement ce refrain : Bâton qu'a batte chien noir batte chien blanc..." (20)
Gustave d'Alaux garda le cap, en continuant d'écrire, en 1859, "samba", en référence à un maître chanteur improvisateur traditionaliste :
"Dans la délibération nocturne qui eut lieu à ce propos, et à laquelle avaient été conviés tous les philosophes (beaux diseurs) des mornes et tous les sambas (improvisateurs) de la plaine, un vieux noir, qui n'était ni philosophe ni samba, mais simplement jardinier, et, comme tel, directement..." (21)
Ainsi, Gustave d'Alaux s'étant bien entouré d'informateurs, a su rectifier. Jean Marie Jan de son côté n'a visiblement pas eu cette chance. Car il a fallu nos écrits, de multiples décennies plus tard, pour qu'un regard à la fois critique et informé soit enfin porté sur son texte.


* En 1953, Jean Fouchard a publié Les Marrons du Syllabaire (22), un livre a succès dans lequel, comme nous l'avons dit, il a exagéré l'importance des captifs islamisés dans l'ancienne colonie de Saint Domingue (Haïti). Quelques années plus tard, Gerson Alexis (23), ayant lu un rapport de terrain du prêtre Carl E. Peters (24) à Balan (Nord d'Haïti), inspiré par le texte pro-musulman de Fouchard (pure spéculation de notre part, vu le peu de références dans les écrits de Gerson Alexis), s'est rendu sur place pour prouver l'islamité des gens de Balan, en dépit des nombreuses pratiques syncrétiques (religion traditionnelle-catholicisme) des locaux catégoriquement opposées à la doctrine islamique. Et, quelques décennies après, le Français Gérard Barthélémy (25) a utilisé les écrits de Gerson Alexis comme tremplin afin de forger la falsification islamique de la cérémonie du Bois Caïman.
 


Notes
(1) Jean Fouchard, Marie-Antoinette Menier, Gabriel Debien. « Toussaint Louverture avant 1789, légendes et réalité » in : Conjonction: Revue Franco-Haïtienne, n° 134 (1977), pp.65-80. Cité dans "Toussaint Louverture et l'indépendance d'Haïti : témoignages pour un bicentenaire" édité par Jacques de Cauna. Paris, 2004. pp.61-67.
(2) Jean Fouchard. Les marrons du syllabaire. Port-au-Prince, 1953. p.40
(3) Mgr. Jean Marie Jan. Congrégations religieuses à Saint-Domingue, 1681-1793. Port-au-Prince. 1951. p.224.
(4) Moreau de Saint-Méry. Description topographique, physique, Tome 1, Philadelphie, 1798. p.47.
(5) Mgr. Jean Marie Jan. Op. Cit. pp.224-225.
(6) Gustave d'Alaux. Faustin Soulouque et son Empire. in : Revue des Deux Mondes. Tome 8, Paris, 1850. pp.1042-1043 ; Réédition, Paris, 1860. pp.67-68.
(7) Mgr. Jean Marie Jan. Op. Cit. p.224.
(8) Mgr. Jean Marie Jan. Op. Cit. p.225.
(9) Prophète Joseph. Dictionnaire Haïtien-Français, Français-Haïtien. Montréal. 2003. p.100.
(10) Mgr. Jean Marie Jan. Op. Cit. p.225.
(11) Moreau de Saint-Méry. Op. Cit. p.49.
(12) Gustave d'Alaux. Op. Cit. 1851. p.1041 ; Réédition, Paris, 1860. p.63.   
(13) Mgr. Jean Marie Jan. Op. Cit. p.225.
(14) Hérard-Dumesle. Voyage dans le Nord d'Hayti ou révélations des lieux et des monumens historiques. Cayes, 1824. p.88.
(15) Jean Baptiste Lemonnier-Delafosse. Seconde campagne de Saint-Domingue, du 1er décembre 1803 au 15 juillet 1809. Havre, 1846. p.83-87. 

(16) Mgr. Jean Marie Jan. Op. Cit. p.225.
(17) Almanach royal d'Hayti pour l'année bissextile 1820. l'Imprimerie Royale, Sans-Souci. p.33. URL: https://books.google.ca/books?id=CJtjAAAAcAAJ&pg=PA3&source=gbs_selected_pages&cad=2#v=onepage&q&f=false

(18) ‎Earl Leslie Griggs, Clifford H. Prator. (ed). Henry Christophe & Thomas Clarkson: A Correspondence. Berkely, 1952. pp.48-49.
(19) Gustave d'Alaux. "Les Moeurs et la littérature nègres." In : La revue des deux mondes. Volume 8. Paris, 1850.  pp.762-794.
(20) Gustave d'Alaux. "La littérature jaune (II)". In :  Revue des deux mondes, Tome 16. Paris, 1852.pp. 1048-1085.
(21) Gustave d'Alaux. "La Révolution Haïtienne de 1859 : Chute de l'Empereur Soulouque. Le président Geffrard". In :  Revue des deux mondes, Tome 23. Paris, 1859. pp.341-392. 
(22)  Jean Fouchard. Op. Cit. 1953.
(23) Gerson Alexis. « Aperçu sur les Mandingues haïtiens », in : « Lecture en anthropologie haïtienne », Port-au-Prince, 1970. pp.173-185.
(24) R.P. Carl Édouard Peters. « Société mandingue », in : Revue de la Faculté d'ethnologie. No. 10. Port-au-Prince, 1965. pp.47-50.
(25) Gérard Barthélémy. "Propos sur le Caïman: Incertitudes et hypothèses nouvelles" in: Chemins Critiques, Vol. 2. No3, Mai, 1992. pp.33-58.





Comment citer cet article:
Rodney Salnave. "Boukman ne s'appelait pas Zamba". 13 octobre 2016. Modifié le 23 déc. 2018.
[en ligne] URL: http://bwakayiman.blogspot.ca/2016/10/boukman-ne-sappelait-pas-zamba.html ; Consulté le [entrez la date]



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